“Nous avons été plusieurs professionnel.le.s surpris.es par la médiatisation du processus de perte de poids de l’humoriste Dominic Paquet, qui sera documenté pendant plusieurs semaines dans le cadre de l’émission de Julie Snyder – La Semaine des 4 Julie. Au-delà du segment sur la cryothérapie aux vertus douteuses, nous ne pouvons passer sous silence la promotion médiatique d’une perte de poids irréaliste et les propos grossophobes qui ont été prononcés à l’endroit de Dominic Paquet.” – Extrait d’une lettre d’opinion que j’ai rédigée avec la collaboration de Claudia Guy (lire la suite de la lettre d’opinion dans La Presse +).

 

Cette lettre a été appuyée par l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) ainsi que par les organismes ÉquiLibre, Bien Avec Mon Corps, ANEB Québec et la Maison l’Éclaircie.

 

C’est aussi 415 professionnel.les de la santé qui ont donné leur appui par leur signature dans un délai de quelques jours seulement. Les professionnel.les sont principalement des nutritionnistes-diététistes car nous avions peu de temps pour solliciter d’autres professions.

 

Tu peux voir la liste complète ici. Vas donc voir. C’est assez impressionnant!

 

Ça en dit long. 

Et ça me donne espoir! 

 

Peut-être verrons-nous un jour où la grossophobie ne sera plus tolérée comme elle l’est actuellement?

 

Tu te demandes ce qu’est la grossophobie? Je t’invite à visiter le site Grossophobie.ca – Infos et références. J’ai aussi écrit un article sur la grossophobie médicale qui pourrait t’intéresser (j’y parle entre autres des effets sur la santé physique et mentale de la grossophobie).

 

J’en profite pour partager de nouveau une pétition, lancée par Édith Bernier fondatrice de Grossophobie.ca – Infos & Références, qui demande “au gouvernement du Québec de modifier l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne afin d’y inclure la discrimination basée sur tout critère lié à l’apparence physique, incluant la taille et/ou le poids des individus.”

Si tu ne l’as pas encore signée, tu as jusqu’au 25 février 2020 pour le faire.

https://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/petition/Petition-8145/index.html

 

Comme on ne pouvait pas tout écrire dans la lettre d’opinion, j’avais envie d’aller plus loin sur la perte de poids, les habitudes de vie et la santé. 

 

Note: la lettre d’opinion présentée dans La Presse+ a été éditée pour rencontrer leurs exigences. Si tu veux voir la version originale, clique ici.

 

Note: Dans la section qui suit, je te partage mon avis professionnel basé sur ma compréhension de la littérature scientifique ainsi que de mon expérience professionnelle. Je remercie Claudia Guy et Roxanne Bertrand (connue sous le nom de LaNutritionniste) pour leur contribution. Le contenu n’engage aucunement les organismes et signataires de la lettre.

 

Perte de poids ou changement d’habitudes de vie?

 

Dans le segment de l’émission La Semaine des 4 Julie du 9 janvier 2020, Monsieur Dominic Paquet semble avoir le désir d’avoir plus d’énergie et se sentir mieux dans ses vêtements. Quelle belle opportunité de démontrer que ses objectifs sont atteignables par des changements d’habitudes de vie, sans égard au poids et que tout être humain, peu importe son physique et son format corporel, mérite d’être traité avec respect. 

 

Plusieurs interventions non centrées sur la perte de poids, peuvent être proposées pour aider un individu à atteindre ces mêmes objectifs: 

 

  • une meilleure gestion du temps
  • une hygiène de sommeil satisfaisante
  • une alimentation qui comble les besoins physiques, émotifs et psychologiques
  • des activités qui apportent bien-être et plaisir
  • du temps de qualité avec famille et ami.e.s
  • etc. 

 

Pour ce qui est de bien se sentir dans ses vêtements, une session magasinage s’impose. Toutefois, choisir des vêtements dans lesquels on se sent confortable et qui nous plaisent, représente parfois tout un défi, surtout lorsque notre corps n’est pas standard ou mince. Les magasins offrant des vêtements de tailles plus grandes que XL et qui sont considérés “à la mode” sont encore rares. C’est sans parler des traumatismes vécus par cette expérience, les coûts supplémentaires, le manque de choix, l’obligation de commander en ligne, etc. Bref, je pourrais faire un article entier là-dessus. Pour l’instant, laisse-moi te dire que j’entend ta frustration face aux vêtements et que dire “va juste t’acheter du linge” est simpliste.

 

Pour en revenir à la médiatisation de la perte de poids de Monsieur Paquet, tout ce que je veux dire, c’est qu’il pourrait être un exemple de personne pour qui le bien-être physique et mental ne passent pas par un chiffre sur la balance. Ce serait un message tellement plus rafraîchissant et porteur de sens.

 

Par ailleurs, plusieurs études supportent l’idée que la modification des habitudes de vie a plus d’impact sur la santé, même en l’absence de perte de poids chez des individus en “surpoids” ou avec “obésité”. Pour n’en nommer qu’une: Bacon & Aphramor ont relevés que la pression artérielle, le profil lipidique et la sensibilité à l’insuline peuvent tous être amélioré par des habitudes de vie, indépendamment du poids.(1) 

 

Ça veut dire que des changements d’habitudes de vie peuvent améliorer la santé même si on n’observe pas de perte de poids.

 

Continuer d’entretenir un narratif qui est faux en reliant systématiquement la santé et la perte de poids (ou la minceur) permet seulement de maintenir les sentiments d’incompétence, de culpabilité, de honte et de frustration des personnes qui empruntent la voie des régimes et qui essuient des échecs depuis des années. Ce message n’est pas productif pour la santé collective et je nous souhaite bien mieux.

 

La restriction alimentaire ou “faire attention” pour perdre du poids, ça marche pourtant…non?

 

Oui, dans le court terme. Donc parfait pour des émissions de variétés ou téléréalités (ou tout programme de perte de poids en fait). C’est punché, ça fait un “bon” spectacle (ça dépend pour qui I guess…moi je trouve ça de mauvais goût et inacceptable, mais y’en a qui aiment ça faut croire…), ça donne des cotes d’écoute parce que ça nous montre ce qu’on souhaite. 

 

On VEUT que ça fonctionne et on achète le rêve. Remarque que c’est normal de vouloir perdre du poids. Nous baignons dans une culture pro-régimes (Diet Culture) qui prend pour acquis qu’une personne en “surpoids” ou “obèse” est nécessairement en mauvaise santé (ou le deviendra inévitablement) et que la perte de poids est LA solution. 

 

Pour la télévision, une approche bienveillante peut paraître banale et est bien moins spectaculaire que la quête de perte de poids. 

 

Sauf que. 

Sauf que ça ne tient pas à moyen ou long terme. 

 

De multiples études portant sur la perte de poids présentent des lacunes importantes au niveau de la méthodologie(2): 

  • Le résultat final n’était pas donné
  • La perte de poids est donnée comme un ensemble et non par participant
  • Une absence de la durée du traitement
  • La durée de traitement très courte
  • Les abandons n’étaient pas pris en compte dans l’analyse

 

Ces lacunes rendent les résultats peu fiables.

 

Une étude importante dans le domaine qui démontre que les diètes ne fonctionnent pas long terme est celle d’Albert Stunkard. Deux ans après avoir suivi une restriction calorique avec suivi professionnel, seulement 2% des participants avait réussi à maintenir le poids perdu. Autrement dit, c’était un échec de 98%!(3) Accepterais-tu un médicament qui ne fonctionne pas dans 98% des cas?

 

Aussi, un comité du National Institute of Health a trouvé en 1992 que 90 à 95% des personnes ayant perdu poids avec l’aide d’un programme de perte de poids reprennent généralement le ⅔ du poids perdu en dedans d’un an et presque la totalité en cinq ans.(2)

 

J’ai déjà écrit sur le cercle vicieux des régimes qui explique pourquoi la restriction/privation n’est pas la solutions. PS: se permettre des “aliments plaisirs” uniquement dans un certain cadre et sous certaines conditions, C’EST de la restriction.

 

 

Sauf que le poids ne serait pas le problème.

 

Il existe effectivement un lien entre un IMC plus élevé et les maladies chroniques (diabètes et maladies cardio-vasculaires entre autres). Il existe un lien de corrélation. Pas un lien de cause-à-effet. La distinction entre les deux fait TOUTE la différence. On ne peut pas dire que c’est l’IMC plus élevé qui cause les maladies chroniques. Je parle d’IMC parce qu’on parle science, mais je t’explique ici pourquoi tu ne devrais pas stresser avec ton IMC.

 

Plusieurs études supportent l’idée que la stigmatisation à l’égard du poids et d’autres facteurs socio-économiques, tel que la pauvreté, seraient en fait plus dommageable pour la santé physique et mentale que le poids lui-même.(4) 

 

Les personnes grosses subissent quotidiennement de la stigmatisation à l’égard de leur poids que ce soit par des micro-agressions, des chaises trop étroites au restaurant, des préjugés, un emploi refusé, des soins de santé non-rendus, etc.

 

La grossophobie (stigmatisation à l’égard du poids) crée une situation de stress chez l’individu, tout comme la précarité financière, qui est nocif pour la santé et est lié à l’hypertension, au diabète et aux maladies cardio-vasculaires.(5)

 

Le problème n’est pas le poids, il est plutôt systémique. 

Le problème réside dans les injustices sociales.

 

 

Sauf que… on peut-tu laisser le monde être expert de leur corps???

 

Dans l’émission, les téléspectateurs.trices sont encouragé.es à dénoncer les “écarts” de Monsieur Paquet. On encourage à jouer à la police alimentaire… 

 

Ce comportement ne devrait pas être promu. Imagine ce que ce serait si tout le monde se mettait à commenter ce que mange l’autre. Bon…mauvais exemple, c’est déjà ce qu’on doit subir. Imagine donc un monde où chaque personne mange ce qui lui plaît, sans devoir rendre des comptes à personne. Imagine être libre de manger sans culpabilité.

 

Toute personne devrait avoir une autonomie dans ses choix alimentaires, sans ressentir de culpabilité ni subir de pression externe. Tout aliment devrait être permis sans condition. À moins d’avoir une allergie par exemple. Éviter les arachides parce qu’on est allergique n’est pas la même chose que de la restriction, c’est du self-care (qui peut être traduit par “prendre soin de soi”), on se comprend bien. Catégoriser les aliments comme “bons” ou “mauvais” et entreprendre un contrôle alimentaire avec des règles externes dans un objectif de perte de poids peut mener à une relation malsaine avec la nourriture et son corps. Cela peut même être déclencheur de troubles des conduites alimentaires, communément appelés troubles alimentaires.

 

De plus, la honte et la culpabilité sont des freins au changement et non des moteurs motivationnels. 

 

 

J’ai espoir

 

Malgré que des messages grossophobes soient encore véhiculés dans les médias, j’ai espoir. Je sens un vent de changement. Un vent de fraîcheur. 

De plus en plus d’individus dénoncent la grossophobie. 

De plus en plus de professionnel.le.s de la santé se questionnent sur leur pratique et optent pour un discours plus inclusif, plus à l’écoute de l’être humain qui est devant eux.

 

On n’est pas sorti du bois, mais j’ai espoir!

 

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Références

 

  1. Bacon, L., & Aphramor, L. (2011). Weight Science: Evaluating the Evidence for a Paradigm Shift. Nutrition Journal, 10(1), 9. doi:10.1186/1475-2891-10-9
  2. Harrison, C. (2019). Anti-Diet: Reclaim your time, money, well-being, and happiness through intuitive eating. Little, Brown Spark, New York Boston London
  3. Stunkard A Fau – McLaren-Hume, M., & Mc, L.-H. M. The results of treatment for obesity: a review of the literature and report of a series. (0888-2479 (Print)). doi:D – CLML: 5935:34879:414 OTO – NLM
  4. Logel, C., Stinson, D., & Brochu, P. (2015). Weight Loss Is Not the Answer: A Well-being Solution to the “Obesity Problem”. Social and Personality Psychology Compass, 9, 678-695. doi:10.1111/spc3.12223
  5. Hunger, J. M., Major, B., Blodorn, A., & Miller, C. T. (2015). Weighed Down by Stigma: How Weight-Based Social Identity Threat Contributes to Weight Gain and Poor Health. Social and Personality Psychology Compass, 9(6), 255-268. doi:10.1111/spc3.12172
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