Tu peux m’écouter te lire ma publication si tu préfères. Tu n’as qu’à cliquer sur l’onglet “play”.
Définition de grossophobie:
« attitude de stigmatisation, de discrimination envers les personnes obèses ou en surpoids » – Petit Robert, 2019
C’est super que ce mot soit finalement reconnu dans le dictionnaire. Ça permet d’ouvrir la discussion et de reconnaître ce que vivent les personnes grosses.
Bon…les mots “obèses” et “en surpoids” sont stigmatisants en soi et auraient pu être remplacés simplement par ‘’grosᐧsses’’.(1)
Je dis stigmatisant parce qu’ils:
- se basent sur l’indice de masse corporelle (IMC) qui a plusieurs lacunes (viens lire ma publication sur le sujet);
- définissent une caractéristique physique comme une maladie;
- impliquent qu’un autre poids (souvent plus faible) est souhaitable;
- causent une détresse psychologique chez la personne concernée(2).
Toutefois, mon article ne traite pas du choix de vocabulaire. Quand je travaille avec un individu, j’utilise l’appellation qu’il préfère employer et avec laquelle il se sent à l’aise et respecté. Ayant un corps standard, je ne subis pas de grossophobie. À l’opposé, je profite plutôt des privilèges d’avoir un tel corps (aussi appelé thin-privilege). Ce n’est donc pas à moi de dire quels mots peuvent blesser, mais plutôt aux militantᐧeᐧs qui se sont réappropriés le mot grosᐧsse.
Sache que dans mes publications, j’emploie le mot grosᐧsse comme un qualificatif. Au même titre que grandᐧe ou châtainᐧe.
Aucune connotation négative ou préjugés associés.
Quand on parle de grossophobie médicale, on parle de stigmatisation/discrimination à l’égard des personne grosses PAR des professionnels de la santé ou le système de santé.
Note: la majorité des études présentées dans cet article sont américaines. Nous manquons désespérément de données au Canada, encore plus au Québec. J’ai espoir que de plus en plus de chercheurᐧeᐧs canadienᐧneᐧs se pencheront sur le sujet dans les années à venir.
Le 27 novembre 2019, un reportage sur la grossophobie médicale était diffusé sur les ondes de Radio-Canada. J’ai eu le plaisir d’échanger avec Mathieu Papillon, journaliste, sur le sujet. Le voici si tu l’as manqué.
Ça ressemble à quoi la grossophobie médicale?
À un rendez-vous chez ton médecin de famille, tu te fais peser par unᐧe infirmierᐧère qui te dit que tu devrais perdre du poids parce que ton IMC dépasse une certaine “limite”. Tes habitudes de vie, ton état de santé, ton vécu, ton avis n’ont pas été validés. Autre scénario: tu te fais dire qu’on ne peut pas te peser parce que la balance ne supporte pas ton poids ou encore qu’on doit te peser sur une balance industrielle qui est dans le couloir, devant tout le monde.
Ton père réside dans un CHSLD (centre d’hébergement et de soins longue durée). Il ne mange presque plus depuis 2 semaines. On te dit que ce n’est pas trop grave, qu’il a des réserves et que ça va juste lui faire du bien.
Un professionnel de la santé écrit dans ton dossier “manque de motivation” parce que ton poids ne descend pas. Selon lui, tu ne fais pas suffisamment d’efforts. Ou encore il croit que tu lui mens car clairement, ça ne fonctionne pas ton affaire. Tu te fais sermonner sur l’importance de te prendre en main et perdre du poids pour XYZ raisons.
Le pédiatre de ta fille de 9 ans la pèse, lui annonce qu’elle est “obèse”, qu’elle devrait faire attention pour ne pas devenir plus grosse et même que ça lui ferait du bien de perdre un peu de poids. Il lui demande de mieux manger et bouger plus.
Dans toutes les cliniques où tu vas, chez ton médecin de famille, tonᐧta physio, à la pharmacie, etc… tu dois attendre debout parce que ton corps ne fit juste pas dans les chaises à bras standards.
Ta meilleure amie se présente en fertilité, mais le traitement lui est refusé en raison de son poids trop élevé. Ses défis pour devenir enceinte n’ont rien à voir avec son poids.
Ça c’est sans nommer les équipements médicaux qui ne sont pas toujours adaptés pour tous: IRM, fauteuils roulants, lit d’hôpital, civière, brassard de tensiomètre (pour prendre la pression), etc.
Je pourrais continuer d’énumérer des exemples jusqu’à demain matin, mais j’arrête ici. Mon but n’est pas de te décourager, mais de te montrer l’ampleur du problème.
Je t’invite d’ailleurs à lire le livre de Mickaël Bergeron “La Vie en gros: regard sur la société et le poids”. C’est sous forme de courts chapitres qu’il partage non seulement son expérience personnelle d’être gros dans notre société actuelle, mais aussi des études et des réflexions sur le sujet. J’ai été touchée par sa vulnérabilité et en colère contre notre société. Bref, excellente lecture que je recommande fortement.
Pourquoi se préoccuper de la grossophobie médicale?
Parce que c’est répandu, non-dénoncé et surtout accepté – la plupart du temps.
Ce n’est pas comme le racisme ou le sexisme. **Alerte au sarcasme** -> Condamner une personne grosse, c’est lui rendre service, pour sa santé. C’est rendre service à la société parce que “l’obésité” coûte cher au système. De toute façon, c’est de leur faute s’ils sont comme ça. **Fin du sarcasme**. Ahhh misère.
Les professionnelᐧleᐧs de la santé sont, à la base, des êtres humains qui peuvent aussi avoir des préjugés, bien que les actes discriminatoires soient proscrits par la majorité des codes de déontologies. Ne nommons que l’article 17 du Code de déontologie des médecins: “Le médecin doit avoir une conduite irréprochable envers toute personne avec laquelle il entre en relation dans l’exercice de sa profession, notamment envers tout patient, que ce soit sur le plan physique, mental ou affectif”.
Une récente étude de 2019 sur 400 médecins de famille canadienᐧnneᐧs, dont 24 québécoisᐧses confirme que la grossophobie médicale est un phénomène qui nous touche, bien que ce ne soit pas chez la majorité des médecins (ouf!).(3)
Heureusement que ce n’est pas systématique (ça c’est l’optimiste en moi qui parle). De plus en plus de professionnels adoptent une approche inclusive à l’égard du poids. C’est encourageant! Mais n’empêche…la stigmatisation à l’égard du poids est encore trop fréquente, problématique x 1000 et il faut que ça cesse. C’est une question de respect.
Parce que ça retarde ou limite l’accès aux soins de santé
– Du côté de la personne qui subit la grossophobie
Une personne qui a vécu une expérience négative avec un professionnel de la santé en lien avec son poids va éviter de consulter ou repousser une visite de suivi ou pour faire des tests de dépistage.(4–5)
La peur d’être jugéᐧe, culpabiliséᐧe, de ne pas être écoutéᐧe, de ne repartir qu’avec une prescription pour perdre du poids.
La honte de n’avoir pas perdu le poids tel que demandé au dernier rendez-vous ou pire *gasp*…d’en avoir pris(!).
Cet évitement ou ce retardement augmente le risque de ne pas diagnostiquer un réel problème et donc de traiter à temps. Sérieux, ça peut être dangereux! Une importante étude conduite par Sutin, Stephan & Terraciano en 2015 a démontré que 60% des 18 771 adultes étudiés avait une augmentation du risque de mortalité lorsque associé à une discrimination à l’égard du poids.(6)
Parce que ça retarde ou limite l’accès aux soins de santé
– Du côté des professionnelᐧleᐧs de la santé
La stigmatisation proviendrait principalement des médecins de famille qui ils/elles sont la première porte d’entrée en santé, mais touche aussi les diététistes, les spécialistes et autres.(7) Plusieurs études montrent les conséquences de la grossophobie médicale. Pour en nommer quelques-unes par rapport aux médecins grossophobes (8–9):
- Une étude a démontré qu’ils passeraient 28% moins de temps avec leurs patientᐧeᐧs “obèses” car jugéᐧeᐧs comme “perte de temps”. (10)
- Réticence à faire des examens gynécologiques.
- Moins d’éducation et de suivis aux patientᐧeᐧs perçuᐧeᐧs comme ayant une faible adhérence aux recommandations. Des stéréotypes envers les personnes grosses sont justement le manque d’adhérence au traitement, qu’ils/elles ne prennent pas soins d’eux/elles, sont paresseuxᐧeuses, manque de discipline et de motivation.
- Les symptômes et problèmes nommés sont plus rapidement attribués à “l’obésité” résultant en une prescription pour un changement d’habitudes de vie ou un régime au lieu de faire des investigations et prescrire une médication (si nécessaire).
“La seule chose que mon poids a fait de négatif pour ma santé, jusqu’ici, est d’aveugler mes médecins qui ont laissé progresser une situation inutilement longtemps au point de potentiellement raccourcir ma vie.” – Gabrielle Lisa Collard, “Mon médecin me déteste” tiré du blogue de Dix Octobre
Parce que c’est associé à une détresse psychologique, incluant l’anxiété, la dépression, une faible estime de soi et une insatisfaction corporelle.(11–12)
Tu vas peut-être me dire: c’est ben beau la santé mentale, mais la santé physique c’est aussi important. Tout à fait légitime comme remarque. J’y réponds en partie dans la prochaine section, mais je t’offrirai une réponse complète éventuellement. Promis.
Parce que ça favorise l’adoption de mauvaises habitudes de vie.(13)
Ben oui toi! Ça fait l’effet inverse. La pression sociale, la stigmatisation envers les personnes grosses et la détresse psychologique qui en découle ne motivent pas le changement positif. Elles sont plutôt reliées à l’évitement de l’activité physique, l’augmentation du cortisol (hormone du stress qui favorise le gain de poids), l’inflammation et l’augmentation de l’utilisation de la nourriture comme moyen de pallier aux émotions.(14)
Aussi, une personne qui a une faible estime de soi aura moins tendance à vouloir prendre soin d’elle et de son corps. Ça peut devenir un cercle vicieux cette affaire là et ce n’est pas aidant quand tes professionnelᐧleᐧs de la santé, qui sont supposéᐧeᐧs te soigner, contribuent au problème en consolidant ta croyance que tu ne vaux même pas la peine d’être traitéᐧe dans le respect.
Parce que ça valorise les désordres alimentaires et favorise les troubles du comportement alimentaire.
Je t’invite à lire mon article sur les comportements alimentaires si tu te demandes c’est quoi un désordre alimentaire.
J’ai trop souvent entendu des médecins dire à des individus qui ont un gros corps de perdre du poids, malgré la présence de comportements alimentaires malsains ou de trouble alimentaire. Encourager un trouble alimentaire, même indirectement, c’est juste non. NON! Surtout quand on sait que la restriction mène à une perte de contrôle et aux compulsions alimentaires. Je te mets une étude (j’aurais pu en mettre plusieurs, mais bon, j’ai choisi celle-là) pour te montrer que je ne suis pas la seule à observer ça: Weight bias among professionals treating eating disorders: attitudes about treatment and perceived patient outcomes de Puhl RM et al.(15)
De plus, l’insatisfaction corporelle est liée à une perturbation du comportement alimentaire.(16)
De façon générale, les professionnelᐧleᐧs de la santé manquent cruellement de formation sur les troubles alimentaires. C’est plus difficile de détecter les vulnérabilités et les drapeaux rouges dans ce temps là et donc plus facile de nuire durant l’intervention.
Recommander une perte de poids, est-ce une bonne idée?
Mon article est déjà épouvantablement long. Je te félicite (et remercie) d’avoir lu jusqu’ici! Promis, je garde ce sujet pour un prochain article. Je te parlerai de conditions médicales qui se sont améliorées suite à des changements d’habitudes de vie, sans observer de perte de poids. J’aborderai aussi les succès et échecs des régimes. Abonne-toi à l’infolettre si ce n’est pas déjà fait pour être sûrᐧe de le recevoir.
Message à ceux et celles qui subissent la grossophobie
Je t’envoie un truck de compassion. Je suis désolée et en colère pour toi. Sache que tu n’es pas seulᐧe et tu n’as pas à subir ça. JAMAIS! Tu mérites d’être traitéᐧe avec respect et dignité comme tu es. Point à la ligne.
Ragen Chastain, sur son blogue Dances with fat, offre des cartons avec phrases clés pour lancer des conversations avec son médecin. Elle m’a gracieusement donné le privilège de les traduire pour toi: tu peux les trouver directement sur son site.
Tu es unᐧe professionnelᐧle de la santé?
Je t’invite à lire la suite de cet article qui t’est destinée.
Références:
- Meadows, A., & Daníelsdóttir, S. (2016). What’s in a Word? On Weight Stigma and Terminology. Frontiers in Psychology, 7. doi:10.3389/fpsyg.2016.01527
- Alimoradi Z, Golboni F, Griffiths MD, Broström A, Lin C-Y, Pakpour AH,Weight-related stigma and psychological distress: A systematic review and meta-analysis, Clinical Nutrition, https://doi.org/10.1016/j.clnu.2019.10.016
- Angela, Nutter, S., Macinnis, C., John, & Russell-Mayhew, S. (2019). Examining Weight Bias among Practicing Canadian Family Physicians. Obesity Facts, 1-7. doi:10.1159/000503751
- Puhl, R. M., & Heuer, C. A. (2009). The Stigma of Obesity: A Review and Update. Obesity, 17(5), 941-964. doi:10.1038/oby.2008.636
- Mensinger, J. L., Tylka, T. L., & Calamari, M. E. (2018). Mechanisms underlying weight status and healthcare avoidance in women: A study of weight stigma, body-related shame and guilt, and healthcare stress. Body Image, 25, 139-147. doi:10.1016/j.bodyim.2018.03.001
- Sutin, A. R., Stephan, Y., & Terracciano, A. (2015). Weight Discrimination and Risk of Mortality. Psychological Science, 26(11), 1803-1811. doi:10.1177/0956797615601103
- Puhl, R. M., & Brownell, K. D. (2006). Confronting and Coping with Weight Stigma: An Investigation of Overweight and Obese Adults*. Obesity, 14(10), 1802-1815. doi:10.1038/oby.2006.208
- Tomiyama, A. J., Carr, D., Granberg, E. M., Major, B., Robinson, E., Sutin, A. R., & Brewis, A. (2018). How and why weight stigma drives the obesity ‘epidemic’ and harms health. BMC Medicine, 16(1). doi:10.1186/s12916-018-1116-5
- Phelan, S. M., Burgess, D. J., Yeazel, M. W., Hellerstedt, W. L., Griffin, J. M., & Van Ryn, M. (2015). Impact of weight bias and stigma on quality of care and outcomes for patients with obesity. Obesity Reviews, 16(4), 319-326. doi:10.1111/obr.12266
- Hebl, M., & Xu, J. (2001). Weighing the care: physicians’ reactions to the size of a patient. International Journal of Obesity, 25(8), 1246-1252. doi:10.1038/sj.ijo.0801681
- Alimoradi Z, Golboni F, Griffiths MD, Broström A, Lin C-Y, Pakpour AH,Weight-related stigma and psychological distress: A systematic review and meta-analysis, Clinical Nutrition, https://doi.org/10.1016/j.clnu.2019.10.016
- Tomiyama, A. J. (2014). Weight stigma is stressful. A review of evidence for the Cyclic Obesity/Weight-Based Stigma model. Appetite, 82, 8-15. doi:10.1016/j.appet.2014.06.108
- Vartanian, L. R., & Porter, A. M. (2016). Weight stigma and eating behavior: A review of the literature. Appetite, 102, 3-14. doi:10.1016/j.appet.2016.01.034
- Tomiyama, A. J., Carr, D., Granberg, E. M., Major, B., Robinson, E., Sutin, A. R., & Brewis, A. (2018). How and why weight stigma drives the obesity ‘epidemic’ and harms health. BMC Medicine, 16(1). doi:10.1186/s12916-018-1116-5
- Puhl, R. M., Latner, J. D., King, K. M., & Luedicke, J. (2014). Weight bias among professionals treating eating disorders: attitudes about treatment and perceived patient outcomes. Int J Eat Disord, 47(1), 65-75. doi:10.1002/eat.22186
Stice, E., & Shaw, H. E. (2002). Role of body dissatisfaction in the onset and maintenance of eating pathology: a synthesis of research findings. J Psychosom Res, 53(5), 985-993. doi:10.1016/s0022-3999(02)00488-9