Cet article fait partie d’une série de trois sur l’approche Health at Every Size(R).

Il a été rédigé par Julia Lévy-Ndejuru Dt.P. de nutritionpositive.ca avec ma collaboration.

Dans la première partie de cette série, nous avons exploré le contexte qui a mené à la création des principes de HAESⓇ. L’article d’aujourd’hui vous permettra de mieux comprendre de quoi il s’agit exactement. Nous explorerons l’activisme qui est à l’origine de l’approche, l’association qui a créé HAESⓇ et ses 5 principes. Puis, nous vous expliquerons les biais et lacunes de l’approche.

 

La petite histoire de l’activisme anti-grossophobie 

 

Le mouvement pour l’acceptation des personnes grosses (fat acceptance) existe depuis les années 60, bien avant l’essor du positivisme corporel (body positivity). Il s’agit d’un mouvement de justice sociale créé par et pour les personnes grosses en réponse à la stigmatisation dont elles étaient victimes. L’événement le mieux connu qui marqua le début de ce mouvement en Amérique du Nord est le “fat-in” de 1967 à Central Park; un sit-in de 500 personnes dénonçant la discrimination envers les personnes grosses. Différents groupes ont vu le jour par la suite, notamment : 

  1. La National Association to Advance Fat Acceptance (NAAFA), dont l’objectif est de promouvoir les droits des personnes grosses et d’améliorer leur bien-être, a été fondée en 1969 aux États-Unis. 
  2. Le Fat Underground, un groupe formé d’anciennes membres de NAAFA a vu le jour quelques années plus tard. Ce groupe composé de militantes féministes, dont plusieurs membres issues de la communauté LGBTQIA2+, mettra de l’avant le concept de libération des gros.ses et publiera le “Manifeste pour la libération des gros.ses” (Fat Liberation Manifesto). Il est étonnant et décevant de réaliser que la culture grossophobe, la médicalisation du poids et les injustices qui sont dénoncées dans ce document sont encore parfaitement d’actualité aujourd’hui. 

L’avènement des blogues et des médias sociaux des années 2000 a démocratisé l’accès à la diffusion d’information à grande échelle. Une nouvelle voix a ainsi pu se faire entendre sur la place publique dans le mouvement anti-grossophobie : celle des activistes racisé.es, principalement des femmes noires. Sans entrer dans les détails ici (excellent sujet pour un futur article), il est important de noter l’immense apport des femmes noires, telle que Sharon Quinn et Sonya Renée Taylor, à ce mouvement qui était alors représenté par un sous-groupe privilégié : les femmes blanches, instruites et de classe moyenne. La visibilité des femmes noires et grosses dans ce mouvement est d’autant plus essentielle que les origines même de la grossophobie sont ancrées dans des théories racistes datant de plusieurs siècles. Cela fait d’elles les premières victimes de cette oppression et les premières à y avoir résisté activement, d’abord au sein de leurs communautés puis au niveau de la société en général. Nous vous suggérons d’ailleurs fortement la lecture du livre de Sabrina Strings : Fearing the Black Body: The Racial Origins of Fat Phobia sur ce sujet.

De nos jours, de nombreu.x.ses activistes dénoncent le fait que le mouvement ait été dilué et recyclé par des personnes qui correspondent aux standards de beauté, alors que sa raison d’être est de promouvoir l’acceptation des corps les plus marginalisés.

 

ASDAH et l’approche HAESⓇ

 

L’Association for Size Diversity and Health (ASDAH), l’organisme à but non-lucratif qui a créé les principes de l’approche HAESⓇ, a vu le jour aux États-Unis en 2003 alors que les problèmes dénoncés par les activistes des années 70 persistaient et que la rhétorique sur «l’épidémie d’obésité» prenait de l’ampleur. Le modèle HAESⓇ avait émergé bien avant ça. De nombreux acteurs du milieu de la santé, patients et activistes oeuvraient déjà à promouvoir la santé de façon inclusive à l’égard du poids depuis des décennies et utilisaient les termes Health At Every SizeⓇ ou Health At Any Size. ASDAH a été créée par ces même personnes afin de définir l’approche et mieux la structurer. 

Leur mission: «Collaborer avec les différents acteurs du milieu de la santé, les éducateurs et éducatrices ainsi que les activistes afin de mettre fin aux politiques de santé publique et aux pratiques cliniques qui sont centrées sur le contrôle du poids, tout en s’assurant que les personnes souffrant de multiples formes d’oppression restent au centre de [leurs] préoccupations.» (traduction libre). 

Leur vision: «Nous imaginons un monde qui célèbre les corps de toutes les formes et silhouettes, dans lequel le poids corporel n’est plus une source de discrimination et où les communautés marginalisées ont un accès égal aux ressources et aux pratiques qui favorisent la santé et le bien-être.» (traduction libre).

Aujourd’hui, ASDAH regroupe des membres de multiples horizons: chercheurs, activistes, professionnel.le.s de la santé, artistes et bien d’autres. L’association a décidé d’enregistrer les termes Health At Every SizeⓇ/HAESⓇ en tant que marque déposée en 2012 afin d’éviter qu’ils soient utilisés à mauvais escient par l’industrie des régimes.

HAESⓇ se décline en 5 principes. Ceux-ci ont été mis à jour en 2014 afin de les rendre plus inclusifs. Pour lire la description détaillée de l’approche HAES et de ses principes dans sa version originale (en anglais), consultez le site Web de l’ASDAH

 

Voici notre résumé de l’approche et de ses principes :

HAESⓇ est une approche qui conçoit la santé comme multidimensionnelle et reconnaît l’importance d’adresser barrières systémiques à la santé. Cette approche propose à celles et ceux qui désirent poser des actions pour prendre soin de leur santé de se concentrer sur le développement de comportements qui favorisent leur bien-être physique et mental plutôt que sur le contrôle de leur poids. C’est une alternative au paradigme actuel qui considère le poids comme un déterminant central de la santé sur lequel il faudrait agir directement lorsqu’il est «trop» élevé.

 

Les 5 principes de HAESⓇ :

 

  1. Inclusion des personnes de tous les poids: Accepter et respecter la diversité des poids et des silhouettes et rejeter l’idéalisation et la pathologisation de poids spécifiques.
  2. Amélioration de la santé: Soutenir et promouvoir les politiques de santé publique qui améliorent et égalisent l’accès à l’information et aux services de santé. Soutenir et promouvoir les pratiques qui favorisent le bien-être, ce qui inclut la satisfaction des besoins physiques individuels, économiques, sociaux, spirituels et émotionnels, entre autres.
  3. Prestation de soins respectueux: Reconnaître nos biais et travailler à éradiquer la stigmatisation à l’égard du poids et la discrimination à l’égard du poids. Fournir de l’information et des services qui tiennent compte du fait que le statut socio-économique, les origines ethniques, le genre, l’orientation sexuelle, l’âge et d’autres identités affectent l’expérience de stigmatisation à l’égard du poids. Soutenir les environnements qui adressent ces iniquités.
  4. Viser le bien-être en mangeant: Promouvoir une alimentation flexible, individualisée et basée sur le respect des signaux de faim et de rassasiement, les besoins nutritionnels et le plaisir plutôt que sur des règles alimentaires visant le contrôle du poids.
  5. Viser le bien-être en bougeant: Promouvoir des activités physiques qui permettent aux personnes de tous les poids et habiletés d’avoir du plaisir en bougeant, sans prescription de temps.

Biais et lacunes

 

Nous avons mentionné que de nombreu.x.ses activistes qui se battent pour l’acceptation corporelle de tou.te.s et font la promotion de HAES® dénoncent le fait que le mouvement ait été dilué par la surreprésentation de femmes cis blanches minces et non-handicapées dans le mouvement, invisibilisant les personnes dont les corps sont les plus marginalisés. Il est crucial de non seulement écouter les personnes qui émettent ces critiques, mais surtout ne pas effacer leurs voix et leur existence. 

Nous souhaitons reconnaître ici que la profession de nutritionniste-diététiste est assez homogène. Faites une recherche rapide du titre de la profession dans un moteur de recherche et vous constaterez que la diversité n’est pas reflétée par le visage de la profession. Cela amène inévitablement des angles morts à notre formation et notre pratique. C’est en apprenant auprès de personnes avec l’expérience du vécu et en travaillant à rendre notre profession plus diversifiée, que nous pouvons défier nos préjugés, privilèges, biais et angles morts afin de devenir plus inclusif.ve.s. C’est ce qui nous permettra d’éradiquer les micro-agressions et la stigmatisation qui existent dans nos milieux de travail.

Une autre critique de HAES® est que l’approche est capacitiste (attitude discriminatoire trop répandue qui consiste à placer la personne sans handicap, comme la norme sociale). C’est à dire qu’elle encouragerait indirectement l’idée que nous avons tous le devoir d’être en santé et que les personnes grosses méritent le respect tant qu’elles prennent soin de leur santé et/ou sont en santé. Nous comprenons que le message puisse être reçu ainsi, car l’approche est souvent abordée lorsqu’il est question de comportements de santé individuels. Il est donc important de faire passer le message que la santé est grandement déterminée par des facteurs systémiques et donc qu’il faut pousser pour des changements au niveau sociétal. L’intersectionnalité de Health at Every Size® est non-négociable et n’est pas toujours assez mise de l’avant. Reconnaître que tous les systèmes d’oppression sont connectés et doivent être adressés est non-négociable si nous souhaitons une réelle justice, entre autres en matière de santé; grossophobie, racisme, capacitisme, transphobie, misogynie, homophobie et élitisme doivent être pris en compte. L’entière responsabilité d’être en santé ne devrait pas retomber sur les épaules des individus. De plus, chacun.e a le droit de décider si elle.il désire adopter des comportements favorables à sa santé sans craindre de se faire juger. Cet article de Your Fat Friend sur le Healthism explique bien le rapprochement entre la santé et la moralité et pourquoi nous devrions nous en détacher. 

Finalement, il y a l’idée que les professionnel.le.s de la santé qui adoptent l’approche HAES® invalident le désir de perte de poids de leur client.e.s et donc ne sont pas toujours à leur écoute. Nous aborderons ce sujets dans le prochain article de cette série.

Le blogue Fluffy Kitten Party, a fait paraître en juin 2020 un article très poignant sur les lacunes de l’approche que nous vous recommandons fortement de lire. 

HAES® n’est pas un modèle parfait, c’est certain. Pour nous, il offre une alternative bien structurée et convaincante au paradigme de santé actuel. ASDAH est un organisme en lequel nous croyons, qui ne cesse de se renouveler et de travailler à rendre l’approche HAES® de plus en plus inclusive. C’est pour cela que nous nous identifions à cette approche. Il est important pour nous de ne jamais cesser d’apprendre et de grandir dans nos pratiques, malgré l’inconfort qui vient souvent avec.

 Déclaration de conflit d’intérêt: Julia Lévy-Ndejuru est membre de l’ASDAH.

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