Cet article fait partie d’une série de trois sur l’approche Health at Every Size(R).

Il a été rédigé par Julia Lévy-Ndejuru Dt.P. de nutritionpositive.ca avec ma collaboration.

Peut-être avez-vous déjà entendu l’acronyme HAESⓇ ou encore, tout au long, Health At Every SizeⓇ? Ce ne serait pas étonnant, car cette approche anti-régime et inclusive à l’égard du poids originaire des États-Unis gagne de plus en plus en popularité depuis quelques années. Malheureusement, elle n’est pas nécessairement bien comprise de tous.tes et est parfois mal représentée. Je suis une adepte de HAESⓇ depuis plusieurs années et je me base sur ses principes pour guider mon travail comme nutritionniste anti-régime. Je me suis donc associée avec ma collègue Marilou Morin pour vous rédiger une série d’articles qui expliqueront clairement cette approche et ce qu’elle n’est pas.

HAESⓇ représente un changement de paradigme par rapport à la vision du poids et de la santé qui existe actuellement. Dans cet article, revenons  sur les problématiques qui ont mené à la création de cette approche: la culture des régimes, la grossophobie et la médicalisation du poids.

 

La culture des régimes

Selon la nutritionniste américaine Christy Harrison, la culture des régimes est caractérisée par les éléments suivants : 

  • la glorification de la minceur et la stigmatisation de la grosseur; 
  • la catégorisation des aliments en « bons » et « mauvais »;
  • la promotion de la perte de poids comme méthode pour obtenir tout ce que l’on désire (ex: statut, admiration, respect, santé). 

Elle nous conditionne à voir la minceur comme un idéal, un signe de succès, de bonheur, de beauté et de santé. L’inverse étant associé aux corps plus gros. Cette culture est extrêmement lucrative pour l’industrie des régimes, car l’idéal de minceur qu’on nous vend est inatteignable et la perte de poids à long-terme ne fonctionne tout simplement pas pour la grande majorité d’entre nous 1,2. Des milliards de dollars sont dépensés chaque année pour essayer de se rapprocher de cet idéal. Les solutions proposées par cette industrie sont variées: « rééquilibrage alimentaire», superaliments, «changement-de-style-de-vie-surtout-pas-un-régime-mais-si-vous-trichez blâmez-vous-et-recommencez » et autres méthodes supposément révolutionnaires. Toutes ces solutions ont un point en commun, elles ne fonctionnent pas à long terme. Pourtant, ces programmes qui promettent une perte de poids durable sont partout. 

Les régimes ne fonctionnent pas, vous le savez, je le sais, tout le monde le sait. J’aimerais quand même vous expliquer un peu plus en détails ce qu’on veut dire par là. Ce que les études sur la perte de poids nous démontrent depuis des décennies, c’est que 86 à 98% des personnes qui entreprennent une démarche de perte de poids volontaire vont le reprendre en 2 à 5 ans et ⅓ à ⅔ d’entre eux vont en prendre plus qu’elles.ils en ont perdu 2,3,4,5,6. Non seulement ça, mais ces chiffres sont conservateurs car ils sont souvent basés sur les participant.e.s qui ont complété les études du début à la fin, mettant ainsi de côté celles.ceux qui ont cessé d’y participer en cours de route. On ne parle pas ici de régimes « extrêmes » vendus par des charlatans, mais bien d’études encadrées où les participant.e.s tentent de suivre un plan alimentaire dit « adéquat » et sont accompagné.e.s par des professionnel.le.s de la santé. Même dans ce contexte, ça ne marche pas. 

En plus d’être inefficaces à long-terme, les conséquences des régimes sont dangereuses: augmentation du risque de trouble des conduites alimentaires, stigmatisation des personnes grosses, fluctuations de poids, déconnection du corps, et j’en passe 7

De nos jours, nous faisons face à une nouvelle vague de marketing autour de la perte de poids. On nous dit, par exemple, que la restriction exagérée ne marche pas mais que « insérez-ici n’importe quel programme/approche qui promet une perte de poids » est beaucoup moins restrictif et mène à une perte graduelle, saine, douce, durable, etc. Ou encore, on encourage l’acceptation corporelle en promettant que c’est ce qui mènera à une perte de poids… vous remarquez l’ironie?  Il est essentiel de se rappeler ici que les données probantes nous démontrent que peu importe l’approche proposée, qu’elle soit modérée ou pas, il y aura reprise du poids perdu pour la majorité des gens.

 

La grossophobie

La grossophobie, selon la définition du dictionnaire Le Petit Robert, c’est: « l’ensemble des attitudes et des comportements hostiles qui stigmatisent et discriminent les personnes grosses ». Nous vivons dans une société grossophobe. Selon Virgie Tovar, une auteure et activiste américaine, la grossophobie peut être vécue à trois niveaux: intrapersonnel, interpersonnel et institutionnel. 

Au niveau intrapersonnel, la grossophobie affecte l’image que nous avons de nous-mêmes. Être obsédé.e par son poids et juger la forme de son corps sont deux exemples qui découlent de la grossophobie. L’idée d’accepter son corps lorsqu’on est gros.se est très difficile à imaginer pour bien des gens. 

Au niveau interpersonnel, on parle par exemple des commentaires sur le poids, des encouragements à maigrir ou à manger moins dirigés vers une personne jugée trop grosse, la normalisation des régimes et de la culpabilité alimentaire dans les discussions, le fait de se faire rejeter à cause de son poids, etc. 

Finalement, la grossophobie institutionnelle fait référence aux barrières systémiques auxquelles font face les personnes grosses. Il s’agit entre autres, d’avoir un accès difficile à des soins de santé équitables (appelée grossophobie médicale), à des vêtements à sa taille, aux lieux publics et à une représentation médiatique et culturelle positive. Vous comprendrez que les personnes grosses sont les seules à souffrir de ce niveau de grossophobie. La grossophobie affecte tout le monde, mais est bien plus violente pour les personnes grosses. 

Comme vous l’aurez peut-être remarqué, la culture des régimes contribue à la grossophobie qui est omniprésente dans notre société. 

 

La médicalisation du poids

Vous vous dites peut-être: « d’accord mais la santé dans tout ça?!». La science du poids est beaucoup plus complexe qu’elle ne nous est présentée dans les médias et même dans notre système de santé. Avant de me lancer dans des explications, j’aimerais vous mentionner un fait souvent ignoré: une étude scientifique très robuste a démontré que la catégorie de poids où le taux de mortalité est le plus bas est celle des personnes en « surpoids »8. On en entend rarement parler car ça va totalement à l’encontre du discours médical traditionnel qui veut qu’un poids plus élevé représente un problème de santé.

Ce discours est problématique car l’IMC (indice de masse corporelle) n’est pas un indicateur de santé fiable. Tout d’abord, quand on s’intéresse à l’historique de cet indicateur, on se rend compte qu’il n’a pas été créé pour être utilisé avec des individus, mais bien avec des populations. De plus, la création de la catégorie « obésité » a été poussée par un organisme subventionné par des compagnies pharmaceutiques qui y voyaient un intérêt commercial 9. Le comité d’experts consulté à ce sujet avait conclu au manque de données probantes justifiant ce changement 10

Puis il y a une distinction très importante à faire quand on parle de poids et de santé. Les personnes grosses ont effectivement un risque plus élevé de développer certains problèmes de santé. Par contre cela ne veut pas dire que leur poids en tant que tel en est la cause. Il ne faut pas mêler cause et association. Pour illustrer cette distinction, prenons un exemple emprunté au Dr. Lindo Bacon, chercheur et auteur de deux livres importants Health At Every Size (2008) et Body Respect (2016). Les personnes ayant les dents jaunes ont un risque plus élevé de cancer du poumon. Cela ne veut pas nécessairement dire que les dents jaunes causent le cancer. Une possibilité serait que le cancer du poumon cause les dents jaunes. Une autre serait qu’un autre facteur affecte la couleur des dents et le risque de cancer du poumon. Quand on fouille la question, on se rend compte que la troisième hypothèse est la bonne dans ce cas: le tabagisme cause à la fois le jaunissement des dents et le cancer du poumon.

Quand on explore la question du lien entre santé et poids on se rend compte que d’autres facteurs peuvent être responsables de l’association observée: le stress vécu en lien avec la grossophobie, le niveau d’activité physique, l’historique de régimes et les fluctuations de poids et les déterminants sociaux de la santé, pour ne nommer que ceux là. On voit aussi que certains problèmes de santé peuvent mener à un poids plus élevé et non le contraire 11

Ces fausses croyances sur les liens entre poids et santé mènent à de nombreux problèmes. L’un d’eux est la grossophobie médicale, où des personnes grosses reçoivent des soins de moins bonne qualité que les personnes minces. Des biais grossophobes ont été relevés chez de nombreux professionnel.le.s de la santé, dont les médecins et les nutritionnistes. Ces biais peuvent se traduire en un manque de respect et d’écoute des patient.e.s gros.se.s et donc affecter leur prise en charge et leur traitement 12. Un exemple poignant est celui d’Ellen Maud Bennett, une Terre-Neuvienne décédée d’un cancer. Dans sa notice nécrologique, Bennett a tenu à dénoncer le fait que de nombreux médecins ne l’aient pas prise au sérieux alors que ses premiers symptômes se sont fait sentir, des années avant son diagnostic de maladie terminale. Plusieurs médecins auraient attribué ses symptômes à son poids et lui auraient émis la recommandation de perdre du poids pour y remédier. Comme dernier souhait, Bennett demandait aux femmes grosses de ne pas accepter des soins médicaux qui soient inadéquats et de faire valoir leurs droits dans le système de santé. 

 

Comment aborder la santé de façon plus inclusive 

Comme vous pouvez le voir, le poids est devenu une obsession à tous les niveaux dans notre société et cette obsession a des conséquences désastreuses. L’approche HAESⓇ propose d’aborder la santé autrement afin de favoriser le bien-être de toutes et tous. Je vous en parle dans le prochain article de cette série qui sera publié la semaine prochaine.

Vous êtes nutritionniste-diététiste ou étudiant.e.s en nutrition et vous avez envie de comprendre davantage les sujets abordés dans cet article et l’application de l’approche inclusive à l’égard du poids? Cliquez ici pour en apprendre plus sur notre formation: « Comment intégrer une approche anti-régime à sa pratique » qui débutera en octobre prochain! La formation aura lieu en octobre prochain et les inscriptions débuteront le 24 août.

 

Pour aller plus loin :

Grossophobie Infos et référence

Blogue 10 octobre

À huis clos: La grossophobie

Your fat friend sur medium

The body is not an apology

Site Web de Lindo Bacon

 

 

Références

  1. Maymone, M. B., Laughter, M., Anderson, J. B., Secemsky, E. A., & Vashi, N. A. (2020). Unattainable Standards of Beauty: Temporal Trends of Victoria’s Secret Models from 1995 to 2018. Aesthetic Surgery Journal, 40(2), NP72-NP76.
  2. Nordmo, M., Danielsen, Y. S., & Nordmo, M. (2020). The challenge of keeping it off, a descriptive systematic review of high‐quality, follow‐up studies of obesity treatments. Obesity Reviews, 21(1), e12949.
  3. Ayyad C et al. Long term efficacy of dietary treatment of obesity: a systematic review of studies published between 1931 and 1999. Obes Rev. 2000;1:113-9. 
  4. Sarlio-Lähteenkorva S et al. A descriptive study of weight loss maintenance: 6 and 15 year follow-up of initially overweight adults. Int J Obes Relat Metab Disord. 2000;24:116-25. 
  5. Mann T, Tomiyama AJ, Westling E, Lew AM, Samuels B, Chatman J. Medicare’s search for effective obesity treatments: diets are not the answer. Am Psychol. 2007;62(3):220–33
  6. Fildes, A., Charlton, J., Rudisill, C., Littlejohns, P., Prevost, A. T., & Gulliford, M. C. (2015). Probability of an obese person attaining normal body weight: cohort study using electronic health records. American journal of public health, 105(9), e54-e59.
  7. Tylka, T. L., Annunziato, R. A., Burgard, D., Daníelsdóttir, S., Shuman, E., Davis, C., & Calogero, R. M. (2014). The weight-inclusive versus weight-normative approach to health: Evaluating the evidence for prioritizing well-being over weight loss. Journal of Obesity.
  8. Flegal, K. M., Kit, B. K., Orpana, H., & Graubard, B. I. (2013). Association of all-cause mortality with overweight and obesity using standard body mass index categories: a systematic review and meta-analysis. Jama, 309(1), 71-82.
  9. Moynihan, R. (2006). Obesity task force linked to WHO takes “millions” from drug firms.
  10. Oliver, J. E. (2006). Fat politics: The real story behind America’s obesity epidemic (Vol. 15). Oxford: Oxford University Press.
  11. Hunger, J. M., Smith, J. P., & Tomiyama, A. J. (2020). An Evidence‐Based Rationale for Adopting Weight‐Inclusive Health Policy. Social Issues and Policy Review, 14(1), 73-107.
  12. Pearl, R. L. (2018). Weight bias and stigma: public health implications and structural solutions. Social Issues and Policy Review, 12(1), 146-182.
Share This